Mobilisation nationale contre le canal Seine-Nord Europe

13/08/2025 21:18

En Picardie, de Compiègne à Aubencheul-au-Bac, les pelleteuses s’affairent sur le « chantier du siècle ». Les arbres tombent, des rivières sont détournées, les zones humides saccagées. C’est qu’il faut vite creuser, sur 107 km, un canal pour raccorder la Seine aux grands ports d’Anvers et de Rotterdam : le pharaonique canal Seine-Nord Europe. Pour faire advenir le tant désiré chaînon manquant du fret européen, la Société du canal Seine-Nord Europe, présidée par le chef de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, ne se refuse rien : 8 milliards d’argent public sur la table et des millions de m3 d’eau et de terres englouties au service d’intérêts privés. Depuis un an, la lutte s'ancre et s'intensifie tous azimuts : on sillonne le territoire pour alerter les riverain-es, des écureuil-les grimpent aux arbres pour empêcher leur abattage, des recours juridiques sont déposés. A peine commencés, les travaux prennent déjà du retard. Contre la logistique du désastre, l’heure de la riposte a sonné. Les Soulèvements de la terre et Extinction Rebellion se joignent au collectif MégaCanal Non Merci pour une mobilisation nationale cet automne en Picardie, qui constituera le cinquième et dernier acte de la première saison territoriale d'action contre les ravages de l'empire logistique sur le bassin versant de la Seine - les Soulèvements de la Seine. Alors, les 10-11-12 octobre 2025, confluons par milliers pour mettre fin à ce projet destructeur !

LES MIRAGES ECOLOGIQUES DU REPORT MODAL


Ce projet d’un autre temps repose d'abord sur une promesse fumeuse, mais enivrante pour les technosolutionnistes qui le soutiennent : celle de voir disparaître des millions de camions de l’A1 grâce à une logistique « multimodale », décarbonée et « respectueuse » de l’environnement par le développement du fluvial. Mais ce qu’on appelle le « report modal » – transfert des flux du routier vers le fluvial – n’est ici qu’un écran de fumée pour rendre le projet acceptable. Les semi-remorques chargés de palettes et de cartons ne transportent pas du tout les mêmes marchandises que les grandes barges, chargées de granulats pour le BTP et de céréales en vrac issues de l'agro-industrie. Les flux routiers et fluviaux, loin d'être interchangeables, sont en fait complémentaires : les bateaux ne peuvent pas se passer des camions. Et non seulement l'intensification du fret fluvial accompagnerait la croissance des flux routiers, mais elle continuerait à mettre à mal le réseau ferroviaire existant, en le concurrençant. Si la volonté des promoteurs du projet était réellement de faciliter le recours au fluvial, ils pourraient revaloriser le réseau existant et faciliter son usage – le canal du Nord existe et est accessible aux bateaux de 800 tonnes. Mais l'objectif du canal Seine-Nord Europe est tout autre : quadrupler le gabarit des bateaux descendant jusqu'aux portes de l'Ile-de-France. Tuer les petits canaux pour faire des autoroutes à bateaux.

UN CHANTIER VORACE : TERRES, EAU ET ARGENT PUBLIC


Si tout le monde doute des retombées du canal, ses dégats sont bien réels. Construire un canal ne consiste pas seulement à bétonner un fleuve existant ou à creuser là où il n’y en a pas. Il faut développer un ensemble titanesque d'infrastructures nécessaires à son fonctionnement : un escalier de gigantesques bassins en béton séparés par sept écluses, avec des pompes énergivores pour remonter l'eau au sommet, trois ponts-canaux parmi les plus grands d’Europe, auxquels s’ajoutent une soixantaine de ponts, quatre ports intérieurs et tout le réseau routier préalable aux travaux. Pour assurer un niveau d’eau constant, une réserve grande comme 22 fois la bassine de Sainte-Soline doit être construite à Allaines, remplie par le pompage de l'eau dans la rivière de l'Oise, dans une région de plus en plus touchée par les événements climatiques extrêmes (inondations et sécheresses). L'impact sur sols est donc à la mesure des plus grands terrassements jamais connus en France : le projet détruirait plus de 3 000 hectares de terres agricoles, humides, précieuses et fertiles – l'équivalent de la surface de Lille ou de 8 fois l'A69. Des centaines d'espèces protégées, comme la mulette, la reinette et le martin pêcheur feraient les frais de ces destructions. Un accaparement mortifère sponsorisé par l’Union européenne et la Région des Hauts-de-France, censées financer, via des fonds publics, les 8 milliards - et au-delà - réclamés par le projet.

UNE FUITE EN AVANT AGRO-INDUSTRIELLE


Rappelons-le, le gros de ce qui serait transporté par le canal Seine-Nord Europe sont des céréales en vrac issues de l'agro-industrie. Le « chantier du siècle » profiterait ainsi directement aux géants du secteur qui, non contents d'accaparer et d'empoisonner les terres et l'eau, verraient leurs profits enfler grâce aux marchés juteux de l'import-export mondial. Au-delà de la massification des flux, les « transformations » impliquées par le chantier promettent de renforcer le monopole agro-industriel de la région : outre la réserve d'eau prévue à Allaines, la FDSEA envisage de construire des mégabassines sur les déblais du canal au profit de quelques agriculteurs, alors même que les luttes anti-bassines du Poitou nous ont montré l'absurdité économique et écologique d'un tel système. Et que dire du remembrement de 70 000 hectares terres qu'il faudrait opérer pour que le canal soit achevé ? Alors que l'érosion des sols, leur destruction et la sécheresse s'intensifient, une telle restructuration du territoire relève de l'écocide organisé.

 

LA PICARDIE, CET ETERNEL TERRITOIRE SERVANT


Plus qu'une simple infrastructure, le canal Seine-Nord Europe recomposerait en réalité toute la région. Entre l'implantation de sites Seveso, le remembrement des terres agricoles, la construction de gigabassines, de routes et d'entrepôts, le territoire picard, dans le prolongement de la banlieue nord parisienne et de ses zones logistiques, ne cesse d'être cet éternel « territoire servant », déjà mis à mal par l'industrialisation. Territoire dont on indexe la valeur non sur ses habitant·es et ses travailleur·ses mais sur les potentialités économiques qu'il offre. Le canal Seine-Nord Europe se fiche donc éperdument des bateliers de la région, qui seraient désormais concurrencés par les bateaux belges et néerlandais, eux-mêmes victimes d'une épuisante course à la rentabilité. Pas d'égard non plus pour les dockers du Havre, étant donné que le projet permettrait aux armateurs d'atteindre l'Ile-de-France sans passer par eux : trop de pouvoir syndical nuit au business. Les quelques dizaines d'emplois créés, la plupart dans des entrepôts logistiques, ne pourront jamais compenser ces atteintes aux travailleur-euses. Au-delà d'affaiblir les collectifs de travailleur·ses du fluvial, c'est d'une façon plus générale les lieux de solidarité, de partage et de vie commune des villages traversés par le chantier que l'on détruirait allègrement au profit de zones industrielles et d'entrepôts. Logistique partout, vie sociale nulle part.

 

A BAS L'EMPIRE LOGISTIQUE


Alors que la logistique commençait à être désignée comme un secteur stratégique lors de l'appel de la saison 7 des Soulèvements de la terre en 2024, un an après, le constat se confirme : la logistique est véritablement partout, en amont comme en aval des filières du béton et de l'agro-industrie. C'est elle qui permet de transporter les marchandises de l'agro-industrie à bas coût et qui, pour ce faire, pousse à l'artificialisation des terres et à l'accaparement de l'eau. Le canal Seine-Nord Europe n'est finalement qu'un gigantesque projet logistique parmi d'autres, une autre « autoroute fluviale » de cet empire pour qui le territoire représente autant de « corridors » à construire et à mettre en lien, un maillage entièrement tendu vers l'efficience du flux et la compétitivité à l'échelle européenne et mondiale. A ce titre, le rêve du président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, qui voit sa région en « hub logistique », est on ne peut plus évocateur : derrière, c'est l'engrenage du système néo-libéral qui rendra les travaileur·ses corvéables à merci. Quant à la logistique utile au territoire et véritablement écologique (les canaux existants et le réseau ferroviaire), elle sera laissée pour compte au profit des rêves des startuppers de la logistique.

La colère gronde le long du chantier du canal Seine-Nord Europe. Du Nord au Bassin Parisien, les forces convergent. Les habitant·es s'allient à la vivacité des martin pêcheurs et des rainettes : les 10-11-12 octobre, soyons des milliers en Picardie, pour mettre fin à ce projet destructeur !